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Etude sociologique sur les MMORPG – http://www.documental.com

Les jeux en ligne massivement multijoueurs : des mondes parallèles aux profits bien réels

Les MMORPG (jeux en ligne massivement multijoueurs) ont séduit à ce jour plus de dix millions de personnes à
travers le monde. Bien sûr, la presse s’est fait l’écho de cet engouement croissant, mais souvent en mettant en avant les comportements déviants de quelques joueurs passionnés (folie meurtrière dans l’action du
jeu, achats de biens virtuels à coups de milliers de dollars…) qui contribuent à donner une image un peu « déjantée » de cet univers. Ces dérapages restent pourtant anecdotiques. En y regardant bien, on s’aperçoit même que nos valeurs
éthiques et morales sont très présentes dans les MMORPG. D’ailleurs, les économistes et les sociologues, Edward Castronova en tête, l’affirment, les MMORPG constituent un formidable laboratoire d’études expérimentales des
comportements humains d’un point de vue économique, commercial et social. Avec les MMORPG, c’est d’abord notre façon d’aborder l’économie qui est revisitée. Ces jeux en ligne simulent en effet ce qui pourrait fort bien
devenir un nouveau modèle économique plutôt révolutionnaire, marqué par une frontière de plus en plus floue entre biens virtuels et biens réels. Mais l’angle sociologique est plus étonnant encore ; on assiste manifestement à
l’émergence d’un comportement coopératif innovant, fondé sur la formation de nouveaux liens sociaux très puissants. De nombreux facteurs le laissent supposer, les MMORPG vont séduire un public de plus en plus vaste, on
peut alors raisonnablement s’attendre à ce que ces mondes parallèles prennent une place économique et sociale conséquente dans notre monde bien réel et influencent de façon significative notre culture.

Un panoramique réalisé en partie à la suite d’échanges avec Luc Chehabi, passionné et expert en MMORPG.

MMORPG, de quoi parle-t-on ? Définition en trois points

Les MMORPG, littéralement « Massively Multiplayer Online Role Playing Game », offrent une nouvelle version du jeu
vidéo. Ils proposent en effet d’évoluer dans des univers temporels continus – ce que les connaisseurs appellent des mondes persistants – qui sont en général liés à l’univers du fantastique ou de la science-fiction. De fait, le jeu
évolue constamment, même quand le joueur est déconnecté ; bien des événements peuvent se passer en son absence, d’où la difficulté pour certains passionnés de quitter ce monde parallèle.

Le principe est simple. Le joueur se crée un personnage, appelé un avatar, le dote de différents attributs (sexe,
métier, compétences, appartenance à une communauté…) puis le fait évoluer dans l’univers du jeu. A sa naissance, l’avatar ressemble en fait à un nouveau-né Il faut tout lui apprendre. Le but est de le rendre de plus en
plus puissant, notamment en lui faisant gagner des « points d’expérience », et de lui faire acquérir des richesses virtuelles au cours d’une succession de quêtes et d’épreuves. Mais, pour cela, il faut du temps, de la
patience, voire même de la persévérance. Dans sa fameuse étude portant sur le jeu en ligne Everquest, le médiatique Edward Castronova, spécialiste de l’étude des mondes virtuels et économiste de référence du secteur, a
ainsi calculé que le joueur moyen pouvait passer 8000 heures à développer son avatar. Aujourd’hui, bien que la plupart des éditeurs et une certaine catégorie de joueurs s’y opposent, il devient possible de court-circuiter ces
étapes en achetant un avatar déjà développé (26). Le temps peut clairement se monnayer contre de l’argent.

Une troisième caractéristique est, elle aussi, marquante ; il s’agit de l’interaction souvent très poussée entre les
avatars. Des sociétés, des corporations de métiers, des armées peuvent ainsi être créées (14). Tout est fait pour favoriser les relations sociales et le mode coopératif entre les joueurs de MMORPG. Plus fort encore, les
communautés de joueurs qui se constituent (on parle de guilde) peuvent aisément se déplacer d’un jeu à l’autre (selon les souhaits de chacun), voire évoluer en symbiose dans plusieurs univers. On retrouve ainsi certains avatars
sur différents MMORPG. Les exploits et les quêtes des uns et des autres peuvent donc se poursuivre en différents lieux. Bref, les jeux en ligne sont eux-mêmes des espaces virtuels qui communiquent.

Un cas d’école avec le jeu phare, « World of Warcraft », WoW pour les amateurs : techniquement irréprochable,
économiquement parfaitement rentable

Créé par Blizzard Entertainment, une division de Vivendi Universal Games (VU Games), le jeu qui s’est inspiré du
Seigneur des Anneaux de Tolkien et qui propose aux joueurs de se retrouver dans un monde médiéval-fantastique (14, 15, 16) a été lancé en novembre 2004. Il a été salué par la presse spécialisée. Graphisme, bande
son… tout est une réussite. (11).

En seulement quelques semaines, son succès est devenu planétaire : on compte aujourd’hui 4 millions de pratiquants
dans le monde dont 2 millions en Chine, 1,5 million aux USA et 500 000 en Europe (23). Sur ce continent, le succès a été immédiat. Sorti en février 2005, le jeu s’est écoulé à 380 000 exemplaires le premier week-end et 280
000 personnes se sont connectées simultanément (16, 21).

« In one word, phenomenal » conclue l’étude financière de la banque UBS qui renoue pour l’occasion avec les
superlatifs de la bulle Internet. Le jeu a en effet rapporté 260 millions d’euros de chiffre d’affaires à VU Games. On se rappelle que cette filiale du groupe Vivendi cherchait depuis 2003 un acquéreur, sans succès, car elle
n’intéressait personne. En 2005, elle fait figure de vache à lait de la société (9, 10, 11, 20). Beaucoup de professionnels du jeu espèrent que ce succès fera boule de neige et stimulera la vente de leurs produits respectifs
(22).

Les MMORPG semblent avoir trouvé un modèle économique qui fonctionne !
Les revenus des MMORPG proviennent essentiellement des sources suivantes :

– l’achat du jeu (45/50 euros) ;

– l’abonnement payant aux serveurs (11 à 15 euros par mois) : une manne financière récurrente et confortable car
les MMORPG les plus en vogue peuvent compter plusieurs millions d’abonnés à travers le monde. A noter que la nécessité de se connecter à un serveur pour avancer dans le jeu enlève une énorme épine du pied aux éditeurs : le
piratage des jeux devient quasi impossible ;

– le commerce de biens virtuels qui constitue un commerce particulièrement innovant. Selon le blog Terranova, il
avoisinerait déjà aujourd’hui les 880 millions de dollars aux USA (2).

Echanger des biens virtuels contre de l’argent bien réel : une équation irrationnelle mais qui fonctionne bien

Dans Libération du 24 juin dernier (3), Marie Lechner s’est penchée sur le marché des biens virtuels. En plein boom,
celui-ci reste toutefois plus ou moins souterrain. Le site ebay est plusieurs fois cité en exemple. Certains y vendent occasionnellement des objets comme des amulettes ou des anneaux, d’autres s’y sont lancés dans un réel
business. Ainsi, Mathieu a récolté en cinq ans 33 000 euros sur le site en achetant des avatars, en les faisant évoluer et en les revendant. Il explique bien la situation : « les jeux en ligne reposent sur deux valeurs, le temps et l’argent, certains ont du temps et le vendent, d’autres ont de l’argent et en achètent. C’est un échange de bons
procédés. »

A côté d’ebay, on peut se rendre sur des structures plus professionnelles (par exemple gamersloot.net ou le site
d’IGE, réputé être le revendeur le plus important au monde). Elles proposent entre autres de faire gagner des points d’expérience à des personnages qui vont alors pouvoir progresser plus vite dans le jeu. Pour cela, elles
n’hésitent pas à recourir à l’offshore et à sous-traiter le travail à de la main d’œuvre étrangère.

Les exemples sont particulièrement frappants en Chine où les passionnés de MMORPG se comptent par millions. On
assiste là -bas à la montée en puissance d’un phénomène étonnant, le « farming », comprendre des centres d’élevage d’avatars. Des personnes sont payées pour acquérir des compétences et des richesses virtuelles pour les
avatars de différents clients. Certains « fanas » du jeu n’hésitent pas à payer jusqu’à 100 dollars par jour une personne pour qu’elle fasse jouer leur personnage alors qu’ils sont sur leur lieu de travail (2). Pour certains, cela est
en passe de devenir un vrai métier. Edward Castronova a ainsi récolté plusieurs témoignages de joueurs qui gagneraient leur vie en jouant au MMORPG Everquest. Des cybercafés autorisent, eux, les clients à jouer
gratuitement à condition qu’ils leur reversent une partie de leurs gains dans le jeu ; ils seront ensuite revendus en échange de monnaie réelle (2).

De plus en plus nombreuses, les critiques s’élèvent contre les farmers qui rendent le jeu impossible pour les joueurs normaux (3) : « ces jeux offrent l’opportunité d’un système économique et social où le point de départ est le même
pour tous ; quand on autorise le jeu externe, les conditions d’égalité des chances sont violées ».

C’est la même logique pour la vente de certains biens virtuels comme des armes ou des bijoux : les acquérir demande
du temps, des heures et des heures de jeu, ce qui leur donne une valeur marchande. On peut alors mieux comprendre des actes incroyables comme celui de Chegwei, condamné à mort par le tribunal de Shangai parce qu’il
avait poignardé un joueur qui avait revendu sans son autorisation son épée virtuelle capable de pourfendre les dragons ; précisons que le pauvre homme s’était plaint au préalable à la police, sans résultat car la loi chinoise
n’accorde pas de valeur aux artefacts virtuels (3, 18).

A noter, pour les curieux qui se demandent comment l’on peut concrètement prêter ou vendre un objet virtuel ou un
avatar à un tiers, qu’il s’agit d’une action relativement aisée qui peut se faire dans la plus grande discrétion. Il suffit de confier un mot de passe à l’acheteur pour qu’il puisse activer tel ou tel objet.

Certains éditeurs se lancent à leur tour sur le marché de vente de biens virtuels : après le « pay per view », voici
le « pay per quest » ! De grands éditeurs comme Blizzard Entertainment (filiale de Vivendi) ou Sony Online Entertainment, qui voient dans la
vente de biens virtuels une atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle, multiplient les menaces (poursuite en justice…) et les démarches pour éviter de tels débordements. En vain. Le phénomène semble incontrôlable et les
ventes ne cessent de se développer.

En mars dernier, Blizzard a marqué le coup et concrétisé sa « tolérance zéro » : plus d’un millier de comptes qui
vendaient des objets contre de l’argent réel (les « gold farmers ») ont été purement et simplement fermés (2).

Sony Online vient, lui, de changer complètement de tactique, déterminé finalement à mettre la main sur ce marché
secondaire lucratif. Le groupe a donc décidé de s’aligner et a lancé Station Exchange, son propre marché de vente de biens virtuels ; il a débuté autour du jeu Everquest puis s’est étendu à d’autres jeux (2).

« Après le pay per view, voilà le pay per quest », constatait récemment un passionné furieux (29).

L’arrivée de MMORPG fondés sur l’interaction entre argent réel et virtuel

Certains MMORPG, comme Second Life ou Projet Entropia, vont même jusqu’à fonder leurs jeux sur les interactions entre économie virtuelle et réelle.

Project Entropia qui ne compte pas moins de 260 000 inscrits permet tout simplement à un joueur muni d’une carte
bancaire de convertir de l’argent réel en monnaie du jeu et vice versa. Le jeu possède ainsi sa propre monnaie, les PED (Project Entropia Dollars) et leur taux de change, 1 dollar pour 10 PED. Il s’agit littéralement d’une économie
parallèle dont les volumes d’échanges dépassent la centaine de millions de dollars par mois (18). C’est sur ce site qu’un Australien, David Storey, thésard en informatique, a acheté une île virtuelle au prix bien réel de 20 mille
euros (2, 18). Un achat qui a défrayé la chronique. Interviewé sur 01net.com, cet homme prouve en fait que son acte est loin d’être insensé ; il pourrait même lui permettre de réaliser une bonne affaire en revendant son île
parcelle après parcelle, après quelques aménagements divers (27).

Selon Edward Castronova, tout cela n’est qu’un début. Nous en sommes aux prémisses d’un développement potentiellement gigantesque. La prochaine génération de mondes virtuels devrait brouiller un peu plus la frontière
entre jeu et réalité. Ils devraient héberger par exemple des magasins en ligne tenus par des avatars qui vendraient des objets virtuels aussi bien que réels (26).

Finalement les MMOPRG représentent un marché en plein boom pour lequel les opportunités de développement sont
nombreuses
Edward Castronova évalue, en 2004, à 1,5 milliard de dollars les revenus générés par les MMORPG. De quoi attiser la
convoitise de nombreux acteurs, des plus petits (cyber-cafés par exemple qui proposent des connexions aux jeux, jusqu’à plusieurs centaines de postes au Japon) aux plus grands éditeurs tels que Microsoft, Sony ou Vivendi.

Mais il faut être clair, le succès des jeux dépend souvent des millions qui leur ont été injectés. En effet, les jeux en
ligne coûtent de plus en plus cher à développer, jusqu’à 15 ou 20 millions d’euros (15).

Il existe bien sûr des jeux gratuits mais leur qualité n’égale pas celle des sites commerciaux.

Aujourd’hui créer son propre MMORPG – juste pour la gloire – est peu probable : il faut au minimum quatre années
pour construire les fondements d’un jeu et cela suppose un équipement informatique conséquent (serveurs…), sans compter les difficultés liées aux mises à jour constantes : les projets amateurs sont donc anecdotiques, les
MMORPG appartiennent bien aux géants qui ont les moyens financiers pour cela (2).

A noter qu’il existe bien quelques initiatives issues du monde des logiciels libres, mais elles ne remportent pas de
succès foudroyant.

L’essor récent des jeux en ligne, on peut même parler d’un véritable « boom », fait figure de bouffée d’oxygène sur un marché des jeux bien mal en point il y a encore trois ou quatre ans.
« Aujourd’hui, les jeux vidéo sont au 4e rang des produits culturels consommés, derrière la télévision payante, la vidéo et la musique, mais ils devraient rattraper la musique d’ici deux ans », explique Jean-Claude Larue, délégué général du
Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs. Il faut noter que le marché mondial des jeux vidéo représente 25 à 27 milliards d’euros…On peut penser que d’ici à quatre ans les MMORPG représenteront un quart de ce marché (15).
De quoi attirer les éditeurs. D’autant que plusieurs opportunités de développement sont pressenties par divers spécialistes : il y a d’abord le possible essor des jeux en ligne sur téléphone mobile qui pourrait séduire des milliers de
passionnés (15). L’avenir devrait aussi se conjuguer avec le développement des jeux en ligne sur console (20). On sait déjà par exemple que toutes les futures consoles (PlayStation, GameBoy…) seront connectées à Internet
(15).

A terme, les jeux en ligne pourraient même se révéler être de grands concurrents de la télévision (13). En attendant,
le marché tend à se structurer ; une vague de consolidation est inéluctable (15) ; l’appétit des éditeurs s’aiguise. On note parmi les principaux :

Vivendi Universal Games avec le miracle « World of Warcraft » est en bien meilleure forme (9, 10, 20). Son succès a
d’ailleurs été salué par l’industrie du jeu français (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir, Association française pour le jeu vidéo) qui pense que cette réussite pourrait faire boule de neige (22).

Et Jean-René Fourtou, président du conseil de surveillance de Vivendi, affirme même « Les jeux sont en train de
devenir un business mondial incontournable, et les jeux en ligne notamment. La croissance la plus prometteuse proviendra des contenus, que ce soit dans les jeux, la musique, la production d’images, on va vers le redéploiement mondial prometteur du marché et Vivendi est bien placé car il a la chance d’avoir dans tous ses métiers une position
de numéro un ou deux » (11).

Disney se lance à son tour. Le jeu en réseau de Disney s’appelle Toontown et cible une nouvelle population : les
jeunes enfants (6-12 ans). Lancé avec succès aux USA il y a un an et demi, il a débarqué en France en juin. Le projet a été développé avec France Télécom, via sa sous-division de jeux en ligne Goa. Fin juillet, le jeu comptait
déjà 15 000 inscrits (12, 23). Par ailleurs, Goa (éditeur du jeu en ligne « Dark Age of Camelot ») s’apprête à lancer pour la fin de l’année un nouvel
MMORPG, Imperator (22).

Microsoft est aussi sur les rangs ; il va adapter le personnage Spiderman (1) pour créer un MMORPG et vient de
signer un accord avec l’éditeur papier Marvel.

Quant à Sony, pionnier du genre avec les grands classiques Everquest et Everquest II, il innove en lançant son
service de vente d’objets virtuels appelé Sony Station Exchange.

Pour ceux qui doutent encore de l’importance de ce marché, il peut être intéressant de lire l’analyse d’Edward
Castronova, intitulée « virtual worlds : a first-hand account market and society on the cyberian frontier », qui, pour la petite histoire, a pulvérisé les records de téléchargements d’articles sur Internet et a atteint des scores dignes d’un lauréat de prix Nobel ; cet article pourtant publié en 2001 est le quatrième consulté sur le site Social
Science Research Network qui en contient plus de 75 000 dans le domaine des sciences sociales (4). Castronova s’y interroge sur les conditions liées à l’émergence de ce qu’il considère être une économie d’un autre
genre et sur les liens entre le monde économique réel et un autre émergent, virtuel cette fois (4, 24). Il rappelle ainsi que la planète virtuelle Norrath (jeu en ligne Everquest) a engendré un PNB par habitant presque égal à celui de
la Russie. A noter que Castronova devrait publier à l’automne une nouvelle étude intitulée « The business and culture of online games ». On peut s’attendre à de nouveaux records de chargements.

La Chine qui bat les records de passionnés de MMORPG est bien décidée à prendre une part du gâteau

Beaucoup de choses se passent du côté de la Chine. D’abord, le pays bat des records de joueurs de MMORPG : 20
millions de joueurs assidus (5, 17) et le potentiel d’évolution est alléchant : on estime qu’il y a 103 millions d’internautes chinois et qu’à court terme, cette population pourrait dépasser les 185 millions d’internautes américains
(7). « World of Warcraft » a fait une entrée fracassante dans le pays cette année avec 1,5 million de souscripteurs et un record de joueurs connectés simultanément de 450 000 internautes (7).

Les MMORPG en Chine représentent à ce jour un marché de 500 millions de dollars et le pays est bien déterminé à
prendre des parts du gâteau. Il a récemment annoncé vouloir investir 1,8 milliard de dollars sur les jeux en ligne pour favoriser le développement de jeux made in China. De quoi financer au moins la sortie d’une centaine de jeux !

Reste que pour le moment le pays est surtout médiatisé pour les dérives diverses et variées liées au jeu

On a déjà évoqué le cas du meurtrier Chegwei, mais on peut citer aussi ce Coréen mort d’avoir trop joué – 49 heures
d’affilée, sans manger et sans dormir (17) – ou, pire, ces parents, tellement captivés par le jeu dans un cyber-café, qu’ils en ont oublié leur bébé, resté seul toute la journée dans leur appartement, et qui est mort étouffé.

Une loi chinoise pourrait faire boule de neige : pas plus de trois heures de jeu consécutives !
Les législateurs chinois y ont mis leur grain de sel et les décisions sont des plus fermes (2, 5, 6, 17). En 2006, les
joueurs ne pourront pas jouer plus de trois heures consécutives, faute de quoi des pénalités de jeu leur seront attribuées, et pas les moindres : la perte progressive des points d’expérience de leur personnage. Ainsi, si un joueur
reste plus de cinq heures à son poste, son avatar reviendra à son niveau le plus bas, d’où perte d’intérêt pour le jeu (6). Impossible alors de faire autrement que d’effectuer une pause de cinq heures, condition imposée pour
retrouver son crédit de points initial. Les plus importants éditeurs de jeux sont invités à participer à l’élaboration du système de répression qui sera incorporé dans tous les logiciels (8). Une bonne nouvelle toutefois, The9, le distributeur chinois de « World of Warcraft » qui a déjà mis en place un contrôle équivalent, affirme que cela n’a pas
entraîné de baisse significative de ses revenus (8). De leur côté, les cyber-cafés, lieux privilégiés des Chinois pour jouer, font la grimace et craignent de perdre une partie de leur clientèle.

Il est vrai que cette notion de temps consacrée au jeu est particulièrement épineuse. Trois heures par semaine pour les joueurs occasionnels, quarante – voire même cinquante heures – pour les accros… Quel est le juste milieu ?
« Si la question interpelle le juriste, elle préoccupe aussi les développeurs, comment faire un jeu qui puisse passionner à la fois le hardcoregamer (celui qui joue 40 heures par semaine) et le joueur occasionnel ? La réponse semble se
trouver dans le balancement des classes de personnages, le balancement des quêtes… » explique Luc Chebahi, un Français travaillant à San Francisco, passionné de MMORPG, créateur d’avatars célèbres et bêta testeur de
certains jeux en ligne, à qui nous avons demandé de nous présenter les arcanes de cet univers.

Plus globalement, le problème du temps passé à jouer et la plupart des débordements possibles ressemblent à un comportement déjà bien identifié, celui des téléspectateurs devant leur télévision. Et là , on dispose même d’un
certain recul pour évaluer bien d’autres conséquences, par exemple sur la santé physique (obésité…) ou mentale (confusion entre la fiction et le réel, identification aux personnages, monomanie, dépendance…), liées aux excès de
consommation (2, 18). Rien de bien nouveau finalement.

Mais, en fait, qui sont les joueurs de MMORPG ?

Les MMORPG séduisent un public de plus en plus hétéroclite

L’essor des jeux en ligne est un phénomène relativement récent.

Pour reprendre en quelques mots l’historique proposé sur le site wikipedia.org (2), leurs origines se trouvent dans les
jeux de rôles papier tels que le fort connu « Donjons et Dragons ». Le premier MMORPG graphique, « Neverwinter Nights », a vu le jour en 1991 sur AOL (pour jouer, il fallait alors s’acquitter de six dollars de l’heure). Reste que le vrai
boom a été déclenché par la généralisation de l’ADSL (13). En effet, auparavant, les débits ne permettaient pas une bonne pratique du jeu et la demande n’a pas suivi. Les premiers éditeurs comme Wanadoo, Infogrames ou Hasbro ont perdu beaucoup d’argent et ont arrêté les développements. Aujourd’hui, la technologie est au rendez-vous. La
cible s’est alors fortement élargie ; on est loin des passionnés d’informatique des débuts, seuls à ne pas se laisser rebuter par le manque d’ergonomie du jeu et le graphisme peu élaboré.

Luc Chehabi nous le confirme, « le temps de « l’élite » est passé ; aujourd’hui, c’est tout simplement monsieur tout
le monde qui s’y intéresse. Il y a 7-8 ans, la population était principalement constituée de passionnés d’informatique et d’informaticiens parce que les jeux n’avaient pas la qualité graphique qu’ils ont aujourd’hui. Ils demandaient une connexion à Internet fiable que ne possédait pas tout le monde et une certaine aisance
informatique qui encore une fois ne rimait pas avec le grand public. Aujourd’hui, et depuis trois-quatre ans environ, les développeurs misent beaucoup sur la démocratisation : ils redoublent d’efforts pour profiter des améliorations technologiques afin de créer de superbes graphismes, simplifier au maximum le « gameplay » et rendre
l’univers du jeux qu’ils créent ouvert à tout âge. Les éditeurs de MMORPG ont réussi à démocratiser leur jeu en même temps que se démocratisaient les technologies informatiques et Internet. »

On peut même dresser un portrait du joueur en ligne relativement précis. Selon les résultats d’une étude portant sur le jeu WoW, réalisée par le chercheur Nicolas Yee et intitulée « the Daedalus project » (25), l’âge moyen des joueurs
est de 28/29 ans, 84 % des joueurs sont des hommes et 16 % des femmes (plus âgées, elles ont 32 ans en moyenne et s’attribuent davantage des rôles de druides, de prêtresses ou de chasseurs, les hommes optant plutôt pour les rôles de combattants ou de méchants) ; enfin le joueur consacre en moyenne 22,7 heures par semaine à
WoW.

Mais tous ces résultats sont amenés à évoluer rapidement. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à se
connecter. Par ailleurs, dans leurs axes d’évolution, les éditeurs misent beaucoup sur la cible des plus jeunes, « les 6-12 ans ». En atteste le dernier né de Disney, le MMORPG Toontown, ou encore certains détails sur
WoW qui ne trompent. Ainsi Luc Chehabi, se rappelle : « J’ai un exemple que je trouve frappant concernant la volonté des développeurs de rendre le jeu accessible à tout âge. Lorsqu’il y a environ deux ans de cela Star Wars Galaxies (SWG) était en développement, il y a eu une grande discussion sur les forums bêta testeurs (dont je faisais partie) concernant le fait que le personnage que l’on joue puisse entrer ou non dans une cantina/taverne et
commander une bière. Finalement la réponse a été négative car autrement le jeu aurait été interdit aux adolescents aux Etats-Unis. »

Adolescents, étudiants, professionnels de tout type, hommes d’affaires, amateurs de fantastique, de science-fiction, d’aventures romanesques… L’objectif des éditeurs de MMORPG est de cibler un public de plus en plus vaste et
diversifié. Visiblement, ils y parviennent. L’astuce vient en grande partie du fort mouvement coopératif qu’ils encouragent et des sentiments d’appartenance très forts qui se développent au sein des communautés évoluant dans les jeux en ligne. Explications.

L’amitié, mode d’emploi World of Warcraft, par exemple, est un jeu en ligne que vous partagez avec des milliers d’autres joueurs ; presque naturellement, le jeu est conçu pour faciliter les relations sociales. Vous pouvez ajouter des joueurs dans votre liste
d’amis, ce qui vous permet de garder contact avec des joueurs sympathiques pour vous grouper ou simplement pour parler. Faire des groupes est également très simple. De nombreuses quêtes sont conçues pour être accomplies avec l’aide d’autres joueurs, ce qui va donc vous amener à rechercher cette aide. Les groupes peuvent comporter
jusqu’à cinq joueurs, voire quarante pour les « raids », et permettent de s’aventurer ensemble contre des ennemis particulièrement puissants ou résoudre des quêtes très difficiles…. (28).

Plus originale encore est la place sociale que les MMOPRG prennent progressivement dans le monde réel.

Les MMORPG prennent une place sociale innovante dans le monde réel Daniel Ichtiah, auteur de « La saga des jeux vidéo » (13), explique d’ailleurs bien qu’au fil du temps, plus que le jeu lui-
même, les internautes prennent plaisir à converser avec d’autres gens, échanger des impressions ou des blagues. C’est le même phénomène que pour les messageries instantanées, une soif de discuter, de communiquer
devient manifeste. « C’est un défouloir, certains joueurs se lâchent vraiment en ligne, mais cela reste bon enfant. Il est intéressant de constater que les joueurs sont naturellement ouverts aux autres et que de réelles amitiés se nouent. Les participants s’entraident ou se donnent des conseils et n’hésitent pas à discuter. Ce sont des
passionnés et on retrouve le même phénomène partout. Les fans ont toujours plein d’histoires et de souvenirs à se raconter ».

Pour Luc Chehabi, notre spécialiste en titre, « les MMORPG sont bel et bien un moyen de nouer des relations amicales
et même plus que cela. Au cours du jeu, les joueurs vont se regrouper dans des guildes où ils apprécieront de passer du temps IG (dans le jeu) ensemble. Ces communautés vont créer leurs propres règles et
leurs structures sociales. Mais parfois, cela ne s’arrête pas là . Les guildes les plus importantes et celles où l’entente est bonne vont organiser ce que l’on appelle une rencontre IRL (In Real Life). On choisit une ville, un bar et on s’y donne tous rendez-vous. Ainsi, on rencontre en chair et en os les personnes qui contrôlent les personnages avec lesquels on est ami. Des amitiés bien réelles peuvent alors se créer. Certes, la base du MMORPG est bel et bien le jeu de rôle (RPG ou Role Playing Game) et à cet instant, tout n’est qu’apparence. Mais si l’on sympathise avec
quelqu’un dans le jeu, et que l’on passe du temps avec cette personne, il est évident qu’au bout d’un moment la vie réelle va venir par dessus la vie virtuelle. Ainsi, on ne discutera plus IG (In Game) mais IRL (In Real Life). »

A la lecture d’autres témoignages, il apparaît de plus en plus clairement que le côté social et communautaire des univers persistants attire énormément les joueurs (23). Certains économistes comme Castronova ont même
transformé ces espaces virtuels en laboratoire d’étude des comportements humains. Leurs conclusions restent à ce sujet tout à fait rassurantes ; on sait par exemple que les valeurs morales sont des notions très présentes ou
encore que les activités de commerce sont plus importantes que celles liées au combat.

Mais on constate surtout l’émergence d’un phénomène particulier. Loin de rester passifs et de vivre par procuration la vie d’autrui (principe de la téléréalité), les joueurs sont entraînés dans une vraie dynamique de coopération avec
des partenaires biens réels et potentiellement accessibles. Autour d’un imaginaire commun, soudés par tout un ensemble d’affinités, ils partagent des sentiments d’appartenance forts qui les poussent à échanger,
communiquer et même à évoluer ensemble (dans le jeu et plus encore). Tout cela dégage une énorme énergie qu’il reste peut-être à exploiter. Certains l’ont bien saisi, d’où l’essor des marchés de biens virtuels, un concept complètement inimaginable il y a une dizaine d’années, mais on peut s’attendre à voir apparaître bien d’autres
formules innovantes. A notre avis, les MMORPG n’ont pas fini de faire parler d’eux et de nous surprendre.

D’ailleurs, ne se sont-ils pas déjà immiscés définitivement dans notre culture en l’enrichissant de nouvelles légendes ? L’œuvre de Tolkien, l’un des plus grands conteurs de la littérature contemporaine, en est la parfaite illustration ; en s’inspirant de sa saga romanesque, nul doute que les jeux de rôle, en ligne (comme World of Warcraft) ou papier
(comme Donjons et Dragons), ont largement contribué à répandre ce que l’on pourrait désormais appeler le mythe du Seigneur des Anneaux (titre du premier tome édité en 1954). Le succès des récentes adaptations
cinématographiques de la trilogie de Tolkien a bien sûr amplifié le phénomène, et a entraîné dans son élan l’arrivée de milliers de nouveaux joueurs dans l’univers des MMORPG. On dit même que certains suivent aujourd’hui des cours bien réels pour apprendre la langue des Elfes, pur fruit de l’imagination de Tolkien…. L’imaginaire est donc
bel et bien vendeur.

20 septembre 2005 – Tous droits réservés – © documental –
Références bibliographiques des citations et éventuels liens Internet (liens validés le 20.09.05) :

World of Warcraft a séduit 4 millions d’abonnés payants. – silicon.fr, 30/08/05. http://www.silicon.fr/getarticle.asp?ID=11229
MMORPG. – Wikipedia
http://en.wikipedia.org/wiki/MMORPG
Jeux vidéo, la foire aux avatars /Marie Lechner. – Libération, 24.06.05, p.I.
Les économies alternatives /Schödinger. – playmmo.com, 17.02.03. http://www.playmmo.com/article.php3?id_article=781
China imposes online gaming curbs. – BBC news, 25.08.05. http://news.bbc.co.uk/1/hi/technology/4183340.stm
China govt steps up limits on online gaming /Curt Feldman. – gamespot.com, 24.08.05.
http://www.gamespot.com/news/2005/08/24/printable_6131845.html
Chinese government investing $1.8 billion in online gaming. – gamedaily.com, 02.08.05.
http://biz.gamedaily.com/features.asp?article_id=10225&ion=feature
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